Vers l'eugénisme

 P ar obligation la vie tend vers le contrôle des naissances. C'est une nécessité: produire des individus bien formés et aptes à la survie procure un avantage compétitif évident, il me semble; il est donc, normal et évident que les espèces développant des modes de génération «eugénistes» acquièrent un avantage sur celles qui choisissent d'autres voies. Ceci n'induit pas que les autres espèces sont «condamnées»: j'aime à le dire, après quelques quatre milliards et demi, les espèces vivantes les plus nombreuses et prolifiques restent les virus et les bactéries. Mais une bactérie n'est pas en état de contrôler consciemment un eucaryote, alors qu'un eucaryote est en état de contrôler une bactérie. Il faut bien situer cette question de nécessité: l'évolution vers la forme “mammifère” n'est pas «nécessaire», mais si la forme “mammifère” se développe elle acquerra un avantage compétitif évident pour peu que les circonstances s'y prêtent. On ne sait pas encore exactement pourquoi tous les dinosaures non aviens disparurent il y a environ 65 millions d'années, mais on commence à savoir que ce fut du à un brutal changement des conditions de vie sur l'ensemble de la planète, probablement une chute ou hausse importante de la température moyenne en un temps bref, quelque chose comme quatre ou cinq degrés en un an à une décennie.

Bien sûr, cela ne suffit pas. On peut imaginer — et cela se voit de temps à autres — une catastrophe éliminant une majorité des représentants des espèces «dominantes», et des autres d'ailleurs, suite à quoi, après quelques décennies, siècles ou millénaires les choses se rétabliraient. Pas de la même manière, bien sûr, mais avec le même phylum. Pour reprendre le cas des dinosaures, au cours de leur long règne il semble qu'ils connurent au moins une, probablement deux autres catastrophes du même ordre; d'autres phyla disparurent, mais pas le leur. Mais les fois précédentes, ils n'avaient pas comme concurrents les mammifères, lesquels, moins sensibles aux dégradations des conditions et plus réactifs, occupèrent rapidement les «niches» laissées vacantes. Comme les dinosaures formaient un ensemble interdépendant, la disparition de certains éléments induisit celle de l'ensemble des espèces, exceptions faites des aviens, qui formaient leur propre ensemble et qui, en outre, n'étaient pas (trop) en concurrence avec les mammifères. Mais revenons à notre histoire, le contrôle des naissances.

Le premier système de contrôle des naissances fut bien évidemment l'invention de la «sexualité», laquelle est très antérieure à l'invention du sexe. La forme primitive de «sexualité» est l'échange de matériel chromosomique entre bactéries ou entre cellules. Par nécessité toujours, les individus qui «choisissent» cette voie vont créer des lignées ayant des caractéristiques de viabilité meilleures que celles qui se contentent de la scissiparité ou du bourgeonnement, et n'évoluent donc que très lentement: faire des échanges de chromosomes permet d'acquérir des capacités nouvelles; certaines bien sûr n'apporteront rien d'intéressant, et certaines seront même néfastes, mais certaines auront des retombées très positives pour au moins un des «échangistes». À quelque chose bonheur est mal, mais juste après, à quelque chose malheur est bon: le problème avec ces échanges est qu'assez vite des individus qui au départ étaient de la même lignée seront «chromosomiquement incompatibles», c'est le phénomène de spéciation; pour pallier à ce problème, se créeront précisément des «espèces», c'est-à-dire qu'une certaine lignée ayant développé certaines caractéristiques avantageuses prendra localement le pas sur les autres, puis de moins en moins localement; bien sûr, pour que ça marche, il faudra aller vers une étape supplémentaire, la stabilisation. Passons les étapes. Nous voici, il y a quelques deux milliards et demi d'années, avec des organismes pluricelluraires qui, pour se perpétuer, inventeront la sexualité nouvelle manière, «à sens unique»: un «mâle» va «ensemencer» une «femelle» qui va «procréer». Ce n'est bien sûr pas si simple, mais du moins c'est la voie, cela dit, chez les plantes et chez beaucoup d'invertébrés cette spécialisation est circonstancielle, beaucoup de plantes sont hermaphrodites et, surtout parmi les mollusques et gastéropodes, les individus peuvent être alternativement «mâles» ou «femelles». Malgré tout, cette orientation est intéressante en ceci: au lieu de se développer par scissiparité ou bourgeonnement, les espèces sexuées vont créer des, que dire ? Noyaux d'individus ? Bref, des individus nouveaux qui ne sont pas des duplications d'eux-mêmes. Comme ils portent ce germe en ou sur eux, commence un vrai phénomène de «contrôle des naissances»: ceux des germes qui sont incompatibles avec le parent porteur seront éliminés en tant que «corps étrangers», non conformes. Bien sûr, les lignées qui développent des capacités peu compétitives au mieux seront bloquées sur le chemin de l'évolution, si elles ne sont pas carrément éliminées. Par contre, celles qui avaient pris une voie prometteuse, du fait qu'elles sélectionnent parmi leur rejetons ceux qui leurs correspondent le mieux, auront encore une fois un avantage compétitif net. L'étape suivante est l'«invention» de l'œuf: les lignées qui ne se seront pas contentées de disséminer des semences, mais prendront le soin d'entourer leurs descendants d'un petit environnement de poche qui leur assure, quelles que soient les conditions locales, la subsistance, assureront aussi une meilleure chance de survie à cette descendance.

Passons sur les étapes, on en arrive à la grande idée, celle de la viviparité: les descendants se développent in utero et en outre c'est leur parent qui assure leur subsistance et leur développement initial via le cordon ombilical. Sécurité maxi, mais aussi contrôle maxi: si l'individu est «défectueux», il y aura fausse-couche, avortement spontané; si il est trop incompatible avec son parent, celui-ci développera des anticorps contre son rejeton, ce qui aura comme effet, une fois qu'il seront séparés, de tuer assez vite ledit rejeton. Cela n'a pas que du bon — Les femmes qui développent des anticorps contre leur fœtus quand il n'a pas le même rhésus qu'elles montrent que c'est parfois «un peu» excessif, mais quoi ! Qu'un phénomène dans l'ensemble plutôt avantageux pour l'espèce ait de temps à autres des effets desastreux sur les individus n'est pas un si grand problème.

Donc voilà: plus on avance dans l'échelle de l'évolution, plus les systèmes de controle des naissances sont sophistiqués et efficaces. Ceci implique que l'eugénisme est la meilleure voie pour une espèce si elle veut continuer à évoluer et préserver ou acquérir une position éminente dans le concert des espèces. Ceci implique une chose qui me semble évidente: ceux parmi les groupes humains qui, dans les décennies à venir, feront le choix d'un renforcement des pratiques eugéniques prendront un avantage décisif sur les autres groupes humains. Tout du moins, si les choses vont dans ce sens. Ce que je ne crois pas. Je veux dire: dans les décennies à venir, certains groupes humains feront la preuve, par une politique eugénique bien conduite, que cette voie est profitable, ce qui amènera les autres, soit à plier, soit à rompre; comme «l'homme est un roseau pensant», la plupart d'entre eux plieront.


Qu'on me comprenne bien: je ne dit pas «il faut», je dis, «ça se fera», et en outre ça se fera à l'avantage des eugénistes intelligents. Actuellement le monde est divisé en deux groupes, les «eugénistes» et les «natalistes», les sociétés pratiquant à un niveau individuel et/ou collectif le contrôle des naissances, et les autres. Lesdites autres sont toutes dans une situation assez désavantageuse, tandis que celles qui font du contrôle de natalité sont dans l'ensemble en position favorable. C'est un fait. Cela ne signifie pas bien sûr que les «eugénistes» sont toutes dans une excellente situation, mais même la plus défavorisée des sociétés «eugénistes» est dans une situation meilleure que la plus favorisée de celles «natalistes». Le cas est le suivant: les humains ont atteint un nouveau palier dans les méthodes de «contrôle des naissances», celui où ils créent un environnement favorable à l'ensemble ou au moins une large majorité des membres de la société, telles qu'on obtient qu'une part significative des nouveaux membres seront viables et auront un développement satisfaisant; donc, pour assurer la pérennité de l'espèce, il n'y a pas nécessité à produire une descendance abondante, et un «taux de renouvellement» un peu supérieur à deux enfants par femme est suffisant, du moins dans les contextes où l'espérance de vie moyenne est égale ou supérieure à 60 ans. On voit d'ailleurs une corrélation forte entre les deux données,